20140907

Superfrench

Le Viking & La Danseuse Étoile






L'Alpine A310 c'est un peu l'héritière gâtée qui, à force de vouloir mener la grande vie, à fini par bouffer la fortune familiale. Et quelle fortune ! Pas une fortune de droit divin, non. Une fortune accumulée à coup d'idées géniales, de dur labeur d'ingénierie et de virages pris en travers. Une fortune faite de passion et de prises de risques autant financiers, qu'industriels et… Routiers. L'A110, son aïeule la plus célèbre, s'est illustrée sur les plus terribles champs de bataille et a terrassé ses adversaires au mépris du danger. Elle a acquis ses lettres de noblesse en frôlant les précipices alpins les plus vertigineux, moteur hurlant et poupe en dérive, avec la rage de vaincre d'un viking et la grâce d'une danseuse étoile.






Un viking et une danseuse étoile. Pas de doute, l'A310 est bien une descendante de l'A110, même si quelques malheureuses années ont suffi à faire basculer les rondeurs charnelles des petites bombes des sixties et transformer leurs remplaçantes en de fins vaisseaux futuristes anguleux et pointus. Plus agressives, plus suggestives, les dévoreuses de bitume des années 70, euphoriques de leurs nouvelles formes, ne rêvent plus uniquement de cols de montagne mais aussi d'autoroutes. Hélas, les solutions techniques, elles, dataient toujours de la décennie précédente. Enfin, rien de dramatique, hein. Bien réglée et sous bon contrôle, miss A310 était loin d'être la catastrophe dont la presse se faisait alors écho. Mais il lui manquait quand même un petit quelque chose. Le fameux viking et sa force brute. Alors on fit appel aux suédois.





Peugeot-Renault-Volvo. PRV pour les intimes. Ben oui, parce que même si la nouvelle Alpine avait fini par briller en compétition, il lui manquait quand même ce petit rien de bestialité civilisée. C'est que mademoiselle voulait être une dame. Une avaleuse de kilomètres grand train qui ferait halte dans les relais & châteaux et partagerait son parking avec les têtes couronnées de la catégorie. Mademoiselle voulait se garer à côté des Porsches. On dit même qu'elle aurait voulu choisir sa place. Mais pour ça, il fallait arriver la première. Et pour arriver la première, quatre cylindres ne suffisaient pas. Elle en voulait six, en V de préférence. Le "Péhèrevé" était loin d'être une œuvre d'art, il était né plus de choix industriels et comptables que de passions délirantes. Mais qu'importe, allié au poids plume et à l'aérodynamique efficace de l'Alpine, il devait être en mesure de la faire vrombir de plaisir. Ajoutez à ça les trains roulants plus performants de la magique R5 turbo et l'A310 avait enfin les armes pour jouer les missiles sol-sol sur autoroute ET aller taquiner les précipices alpins. Bref, elle était enfin digne de son époque ET de son nom.





Et moi dans tout ça ? Je suis né juste après l'Alpine A310. Du coup, j'étais bien trop jeune pour me préoccuper de ces contentieux dynamico-mécanico-industrio-héréditaires. Pire, je ne me suis pas intéressé aux voitures avant l'âge de dix ans, soit vers 1983. Mais je peux vous dire que quand j'ai vu une Alpine A310 en vrai pour la première fois, j'me suis pas posé la moindre question sur son héritage, le nombre de ses cylindres ou encore sa potentielle rivalité avec la Porsche 911. J'ai juste ouvert de grands yeux sur un truc trois fois plus bas que n'importe quelle autre bagnole. Un objet pointu et ostentatoire dont le seul but dans la vie était de toute évidence la vitesse. Aujourd'hui je ne vois plus vraiment les voitures de la même manière mais, croyez moi - ou souvenez vous, quand on a dix ans, une voiture ça doit hurler dans les bouts droits et crisser dans les virages tout en partant du cul à la moindre pression sur l'accélérateur. Alors maintenant que j'ai grandi et que j'ai pris le temps d'en savoir plus sur l'œuvre de Monsieur Rédélé, je comprends mieux pourquoi cette machine incarnait parfaitement toutes ces choses qui m'attiraient dans une voiture. Conclusion logique : l'Alpine A310, quoi qu'on en dise, est bien l'héritière de l'A110. Ses formes, son cœur et même sa philosophie en font une digne représentante de la lignée Alpine, faisant le lien entre le passé glorieux de la marque et son époque avide de modernité. On dit que les enfants disent toujours la vérité, c'est parce que leurs yeux voient la vérité et leur cœur bât bien avant que leur cerveau n'aie pu venir polluer tout ça avec des concepts chiffrés et des comparaisons sans objet.





Vous avez déjà essayé une Porsche 911 ? Et une Alpine ? Alors oui, la Porsche est incroyablement mieux finie et aboutie. Elle est (plus) rapide, (beaucoup plus) solide, efficace et fiable. Au début des années 80, une 911 a véritablement des années lumières d'avance sa prétendue concurrente française. Et alors ? Avec son tableau de bord en moquette, son pédalier monté au chausse pied, même pas en face du siège du pilote, et tous ces petits bruits de plastique en vibration qu'elle émet en se faufilant dans la circulation, une A310 c'est pas vraiment un modèle de finition. Et pourtant, elle est confortable, son moteur sait se montrer civilisé à faible allure tout en étant capable d'accélérations diaboliques. Et son châssis ! Mama ! Elle est collée par terre c't'Alpine. Il faut vraiment lui en faire voir pour lui décrocher le fessier, et même là, pour peu qu'on aie les bonnes notions de pilotage - rester dans la bonne plage de régime, faire passer l'avant avec les roues dans l'axe de la route, talon-pointe, et tout et tout - elle suit, elle bondit, elle vire, survire si on s'y prend bien, mais elle passe, et plutôt vite ! On pourrait presque croire que je parle d'une Berlinette. Mais non. Je parle bien d'une A310, de cette fusée basse, fine de nez et large de fesses que j'ai vu pour la première fois sur le parking d'un restaurant, un dimanche de 1983.






Celle que je vous présente ici est justement un modèle 83 bien que livré en juin 82. Histoire de millésime. Mais de toute façon chez Alpine on faisait tellement les choses au jour le jour, qu'un millésime ça veut pas dire grand chose. C'est le père de Jean-Marc, qui en est aujourd'hui le maître, qui l'avait alors achetée neuve. Une affaire de famille, quoi. Elle est encore dans son jus, en peinture et intérieur d'origine. Son V6, pas plus que son châssis-poutre ou ses éléments de carrosserie en fibre n'ont jamais reçu la moindre restauration. Et pourtant tout marche ! Et plutôt bien même. Bon, je dis "n'ont jamais reçu de restauration" mais il faut quand même louer la passion, l'expérience et la culture de vrai connaisseur - d'amateur au sens noble du terme - de Jean-Marc qui entretient miss dans les règles, et surtout lui permet régulièrement de faire ses vocalises sur circuit. Forcément. L'A310 a beau être tout à fait fréquentable en ville, à la campagne ou sur autoroute, elle n'en reste pas moins une p'tite boule de nerf qui aime trajecter en hurlant. Pour ma part, je n'ai pas eu l'occasion de tester la taille de mes attributs sur les vibreurs d'une piste mais je tiens tout de même à remercier Jean-Marc qui m'a permis de m'installer - de m'imbriquer devrais-je dire - au volant de son Alpine. Et je vous assure que les quelques kilomètres parcourus (prudemment) à son volant m'ont appris une chose : mes yeux de dix ans ne s'étaient pas trompés.




Merci Jean-Marc !